vendredi 18 août 2017

Lettres à Londres #3

Au mois d'août, j'écris des lettres à Londres, où j'ai pris mes quartiers pour un mois. Voici le troisième lot. Les articles précédents sont à retrouver par ici, et par là

VENDREDI 11 AOÛT

Hyde Park, je me souvenais de toi par bribes, des bribes de l'air glacial qu'il faisait ce jour-là de fin décembre 2007, où nous avions posé nos valises dans une auberge de jeunesse miteuse de Bayswater road avant de filer regarder se pavaner les cygnes. Comme t'es beau en été, comme t'es beau. De notre après-midi passé ensemble, il restera cette fois une broderie, qu'il me tenait tant à coeur de terminer ici, à Londres. Il restera la photo dans ma tête, celle que je n'aurai pas prise, celle que cet écureuil ne m'aura pas laissé le temps de prendre en choisissant de descendre par le tronc d'arbre auquel je m'étais adossée. On s'est regardé dans les yeux, pour des secondes qui m'ont paru se figer, et sûrement qu'on avait tous les deux l'air bête, tout interdits de se trouver l'un face à l'autre.

SAMEDI 12 AOÛT

Camden town, je crois que la dernière fois, je ne savais déjà pas quoi penser de toi. Je crois que c'est au bord de l'eau que je te préfère, là où on respire un peu plus, là où même un samedi matin, il est possible d'obtenir un peu de silence. Quand tu te fais plus sage, aussi, et que tu te déguises en Notting Hill, alignant tes bâtisses dans de jolis tons pastel. Loin de cette foule de touristes qui semble ne pouvoir avancer que dans un seul mouvement. Je sais qu'on vient pourtant te voir de loin pour ce que tu es bruissante, et bigarrée, et folle, mais c'est dans la quiétude inattendue des abords du canal que je t'ai le plus appréciée, quand, sans autre intention que celle de profiter du spectacle, j'ai observé le jeu des écluses qui s'ouvrent et se referment. 

DIMANCHE 13 AOÛT

Tu étais si pleine d'énergie, ce dimanche, Londres, si animée dans les rues de Shoreditch. Le marché de Brick Lane battait son plein, et toi, toi tu semblais vibrer de tout ton être tandis qu'ici, certain improvisaient une danse hip hop, là, ce chanteur mettait tous les passants à ses pieds, semblant faire revivre je ne sais quelle profonde couleur de blues. C'était beau tous les gens, ces tatoués, ces cheveux bleus, ces chaussettes dépareillées. C'était un tableau à chaque coin de rue, sur les murs - les fresques de street art - et sur le bitume, ces londoniens qui font l'âme de l'East London que j'aurais voulu tous croquer sur le papier, eux qui croquaient le monde, semblait-il. Ils sont encore là, tous dans un recoin de ma tête, beaux et solaires, souvenir intact, et je voudrais avoir le temps de tous les broder, de tous les dessiner, de tous les graver avant que leur image ne s'estompe dans ma tête. Je voudrais ne rien oublier d'eux, les garder juste là.

LUNDI 14 AOÛT

C'est exactement ça, le privilège de ce long séjour avec toi : de pouvoir décréter que, non rassasiée de Shoreditch, découvert hier au beau milieu de l'animation du marché, j'y retournerais aussi sec le lendemain. J'y suis retournée, et tu m'as encore étonnée, Londres. Car je me disais bien que tu me cachais des trésors, hier, quand les stands du marché dissimulaient les murs, les portes, tous ces petits recoins où des artistes ont niché leurs oeuvres. Tu étais presque calme aujourd'hui, et j'ai sillonné méthodiquement chacune de tes rues. J'ai détourné mes itinéraires, emprunté les rues perpendiculaires, les parallèles, flairé les pépites cachées dans les petites impasses. J'ai suivi toutes tes lignes de vie, j'ai fait le plein de toi.

MARDI 15 AOÛT

Aujourd'hui, pour la première fois, l'idée d'égrener les jours qu'il me reste à passer ici a affleuré dans ma tête. J'ai pensé "plus que dix jours" au lieu de songer à tout ce temps qui s'offre encore à nous, et ce nombre de jours pour explorer tes rues m'a semblé bien peu. Pour la première fois, j'ai pensé à tous ces endroits où je n'étais pas encore allée et j'ai eu peur de manquer de temps pour tout faire, tout arpenter, tout visiter.
Pourtant j'ai voulu la chasser, cette idée, je l'ai combattue. Je n'ai pas envie de commencer à dire "plus que", pas maintenant, pas tout de suite. Pas aujourd'hui, alors que 10 jours, c'est déjà un beau voyage, un voyage tout entier. 10 jours, c'est normalement un début, un boulevard de balades en perspective, c'est un horizon bien lointain, du dépaysement qui commence à peine.
10 jours. Pendant ces 10 jours, je voudrais voir Big Ben, explorer de nouvelles mews, retourner me perdre encore dans South Kensington, aller au Columbia flowers market, à celui de Broadway, filer jusqu'à Greenwich, aller voir la relève de la garde devant Buckingham Palace, me promener à nouveau à Notting Hill, prendre un petit déjeuner anglais, aller voir une pièce de théâtre, marcher à Little Venice, découvrir le British Museum, et puis aussi la Tate Modern, et le Victoria & Albert Museum, voir un film en plein air, manger des scones, découvrir tous ces petits restaurants et salons de thé qui n'attendent que ça sur mon fichier de choses à découvrir... Tu vois, Londres, que le temps nous manquera, inévitablement.

MERCREDI 16 AOÛT 

Faudra-t-il que je reprenne l'habitude de regarder d'abord à gauche, puis à droite en traversant à nouveau les rues françaises, de la même façon que celle de regarder à droite, puis à gauche, s'est coulée en moi un peu plus chaque jour passé ici ? Sans qu'il ne soit plus la peine aujourd'hui, de conscientiser le geste, de me parler à moi-même, d'y penser, de m'ordonner les choses. Tout cela est désormais intériorisé. 

JEUDI 17 AOÛT

J'étais remplie de bonnes intentions ce matin, car je mesure bien l'infime part des choses que tu as déjà pu me montrer pendant ces trois premières semaines passées avec toi, dans tes rues, dans tes quartiers. Les pages de mon guide se déplient et se dévoilent, petits plans par petits plans, et je ne mets pas longtemps à pointer du doigt un quartier que je n'ai pas encore pris le temps de visiter. Il en reste, de ces itinéraires à emprunter ! Et pourtant, aujourd'hui mes jambes ne fourmillaient pas à l'idée de partir pour de nouvelles explorations. J'avais envie, non pas que je m'ennuie de toi, de m'ennuyer, de trouver le temps long. De voir ce que ça fait de ne pas courir le monde quand on est en voyage. Alors j'ai inscrit l'ennui au programme. Sûrement que mon dernier jour ici sera intense, et que j'essaierai de cavaler partout là où le temps m'aura manqué d'aller, qu'en une journée j'essaierai d'en contenir dix, sûrement qu'alors je repenserai à cette journée où je m'enthousiasmais de prendre le temps de m'ennuyer, d'écrire des cartes postales en regardant les arbres derrière ces si grandes fenêtres, de broder en écoutant cette chanson et en pensant fort à Simon Carpentier. 
Et puis qui sait, ce dernier jour, peut-être que je m'en irai simplement narguer les heures qui passent en m'asseyant dans un parc, dressant la liste de toutes les choses qui m'obligeront à revenir vers toi, jolie Londres. 
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8 commentaires:

  1. Super joli texte et ca change de parler de Londres sous forme de lettre :)

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    1. Contente que ça te plaise, merci beaucoup en tout cas !

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  2. Quand tu penses que le 7 septembre je viens pour une journée avec une amie je sais déjà que le temps va me manquer
    Je vais faire un programme et le suivre car sinon je vais m'eparpiller tellement il y a de choses a faire et a voir ... Une journée c'est déjà bien mais si peu . Profite bien de la fin de ton séjour :)

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    1. C'est sûr qu'une journée ça passe si vite, mais une journée d'escapade reste une journée d'escapade, à prendre avec toutes les perspectives qu'elle ouvre. C'est une journée à Londres, tout de même ! Mon voyage d'août bouleverse toutes mes perceptions, mais il y a 3 mois, j'aurais fait des sauts de puce à l'idée de passer UNE JOURNEE A LONDRES ! <3 <3 <3

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    2. J'ai eu un an pour en profiter mais comme toutes villes elle change se transforme et au cours des années il y a tellement de choses a re découvrir et a découvrir :)

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    3. C'est sûr, et je pense que c'est une ville dans laquelle on pourrait avoir envie de revenir et revenir inlassablement.

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  3. Hello,
    J'adore tes petites lettres à Londres, comme si c'était cette ville ta compagne de voyage. Moi-même, je suis allé à Londres 4 jours, et j'ai joué à la touriste qui court partout, mais les rares moments où l'on a pris le temps de flâner sont ceux dont je me souviens le mieux. :-)

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    1. Je suis vraiment contente que tu le perçoives ainsi, car c'est un peu ça en effet. ;)
      La flânerie en voyage, c'est ce que je préfère et ce dont je me souviens le mieux également. Bonne journée à toi !

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